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 > Hors Texte n°3

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Parcours Ecritures

La question qui se pose lorsque l’on travaille autour de l’écriture d’aujourd’hui - c’est-à-dire l’écriture récente et celle qui se prépare pour demain, que nous nommons pour simplifier et par paresse « l’écriture contemporaine » - c’est de savoir comment on s’inscrit avec elle, quelles démarches nous mettons en oeuvre pour la rencontrer, pour créer des liens, dépasser l’effet de mode et construire réellement un théâtre où comédiens, metteurs en scène, écrivains et public se rencontrent.

Dans un premier temps, les Ateliers 415 ont créé quelques rencontres-lectures en présence d’écrivains, à l’ADEC avec la venue de Vincent Thomasset. Ce travail se poursuit en avril avec la venue de Fabrice Melquiot. Ces rencontres sont importantes pour nous, elles annoncent un projet plus vaste autour de l’écriture : d’essayer de retrouver une vraie place pour celui qui écrit. Pour que cette place puisse se retrouver, il nous semble important, au-delà des rencontres, des lectures, des stages, que cela passe par le spectacle, car écrire du théâtre ne peut se satisfaire d’une lecture, d’une mise en espace. Les textes ont besoin d’être joués malgré leurs faiblesses ou leurs défauts. Cela permet évidemment aux auteurs, mais aussi au public, aux comédiens et aux metteurs en scène, de pouvoir appréhender ce texte dans la matière qu’offre le plateau.

Des expériences en Bretagne ont déjà lieu : comme à Saint Brieuc avec le Théâtre de Folle Pensée, ou à Morlaix au Théâtre de l’Entresort, qui essaient de trouver des espaces pour imaginer les écritures avec ceux qui écrivent comme avec ceux qui les jouent.
Les Ateliers 415 ne cherchent pas à exister en dehors de ces démarches. Au contraire, en relation avec des compagnies de la région, se construit un réseau permettant qu’il y ait une plongée avec les auteurs, dans le théâtre qui se fera demain, au-delà d’un intérêt de surface.

Ce n’est sans doute que dans cet esprit que la mise en place de lectures publiques, de chantiers, de rencontres, d’ateliers d’écriture, aura un sens, c’est-à-dire ne tournera pas dans le vide. Nous pouvons continuer à proclamer notre inutilité dans une société basée sur la rentabilité mais cela ne peut se faire sans projet. Le vide qui souvent apparaît dans les projets est le danger qui nous menace plus profondément que des choix politiques et/ou économiques. Il nous est devenu indispensable de savoir de quoi on parle, sur quoi on travaille et comment. La place de l’écrivain dans le théâtre est une place généralement d’absence, même si depuis plus de dix ans nous trouvons de plus en plus d’écrivains associés à des structures, à des compagnies, à des metteurs en scène.

Nous sentons bien qu’il y a là un enjeu vital, qui transparaît aussi pour les artistes avec la réforme du statut d’intermittent. Ce qui devient aussi vital c’est de savoir si tous nous continuons à travailler dans notre coin, égoïstement, ou si nous mettons en oeuvre des espaces de travail, de réflexions et de représentations communs.

Réflexions à partir de Sexe et solitude de Bruce Benderson
de Erwan Tanguy

Dans "Sexe et solitude"(1), Bruce Benderson commence par nous décrire une rencontre virtuelle avec un égyptien qui se finit en masturbation par webcams interposées - nous sommes dans le virtuel. Il explique que la découverte de la sexualité et sa pratique pour les jeunes s’est déplacée des centres villes ou des grands espaces de liberté qu’offraient pour lui les États-Unis - influencé aussi par la beat generation - aux rencontres virtuelles sur internet. Bien que ce texte décrive une situation propre aux États-Unis d’Amérique, où le puritanisme et le libéralisme luttent l’un contre l’autre ou ensemble pour régir cette société, sous certains aspects cela rejoint aussi nos préoccupations, nos solitudes, que j’ai essayé de traduire à travers cette femme et sa solitude particulière dans "Ce soir je n’ai pas peur".
Benderson, partant de l’expérience d’une jeune femme, Jenni, pionnière du cyber-exhibitionnisme, déclare qu’ "en effet, quel que soit le temps qu’il passe à regarder ces émissions minimalistes postwarholiennes, une sensation de vide finit par envahir le spectateur ; il n’y a jamais eu de rencontre réelle. Ce qui place ce voyeurisme particulier au-dessous de la rencontre la plus plate et la plus banale avec une prostituée."

Bien que nous ne soyons pas dans une société semblable, aux prises avec la religion protestante (d’une manière constitutionnelle), ce vide nous ressemble, que ce soit lors d’expériences sur le minitel rose par exemple ou sur le net, où évidemment, avec l’appui du son et de la vidéo, des connections hauts débits, la rencontre virtuelle devient accessible à tous.
Dans "Ce soir je n’ai pas peur", la femme qui parle, qui s’expose, qui nous dévoile son intime solitude, nous avoue s’être abandonnée à ce mode de rencontre, sans corps, sans durée, non seulement virtuelle mais généralement vide de sens et de construction. Et de la même manière, dans un autre cadre que celui de Jenny, cette femme nous propose une "confession permanente" tout en dévoilant sa "solitude physique".
Dans le monologue, elle semble franchir là une étape supplémentaire, déjà lassée par le net et le face à face avec une webcam, elle s’expose devant nous, se met en danger en nous donnant son corps plutôt que son image, une prise en direct avec sa parole et son isolement. C’est aussi pour cela qu’elle est, d’une manière un peu dévoilée, une comédienne de théâtre, car seul le théâtre permet assez de distance pour éviter le voyeurisme que propose internet.
Nous évitons la promiscuité d’internet pour être dans la distance du théâtre, sans éviter pour autant le sujet. Là où le net nous plonge dans des rapports d’hyperrapidité, la femme vient prendre son temps (même lorsqu’elle s’emballe), lutter contre le silence, et nous dévoiler ses fantasmes d’une manière pudique ou sous entendue, mais tout aussi déconnectée du monde réel que ceux que nous pouvons voir, lire ou entendre sur internet.

A la fin de son livre, Benderson approfondit une opposition qu’il fait entre la « famille nucléaire » et le centre ville qui, dans la lutte, se déplace sur le net. Il décrit un New York qui le fascine et qui tend à disparaître, une ville de sensualité, de rencontres, de pornographie, de prostitutions. A travers New York et plus précisément Times Square, il décrit tout simplement la volonté politique de nier une partie plus sombre à leurs yeux de l’humanité pour mettre en place une image du monde, et de fait des quartiers d’une ville, acceptable aux yeux et aux principes de la famille. Cette sensualité, cet érotisme et cette sexualité refoulés créent un repliement vers des espaces plus vastes, plus libres, que propose le net. Nous ne pouvons nier qu’il y ait perte évidente de quelque chose de corporel. La femme qui parle dans « Ce soir je n’ai pas peur », appartient aussi à ce monde repoussé hors du visible, ce qui ne veut pas dire obligatoirement hors des villes. Sa solitude est accentuée par une absence de famille, de relations, même si nous pouvons supposer qu’elle ait au moins des relations extérieures (de travail ou d’obligations quotidiennes avec des commerçants…). Cette absence, elle la désire sans doute, ou du moins elle a construit son monde dans l’exclusion de toute famille, pour tenter de s’épanouir dans le virtuel des livres d’abord, de la télévision puis du minitel et du net.
« De toute évidence, la rue constitue le pôle opposé du cercle familial parce que sa population évite ou subvertit une structure aussi étroite. C’est ainsi que se créa le labyrinthe des sous-cultures du vice et des interactions passagères, qui défiait toutes les simplifications de la famille nucléaire.
Jamais on ne trouva la famille à l’origine des espaces publics dignes d’intérêts. Mais toujours des passants. »
Les rues condamnées nous poussent dans d’autres lieux comme internet, où virtuellement, des passants continuent d’inventer leur liberté dans une solitude plus terrible car confinée à un écran. « Ce soir je n’ai pas peur » est une porte pour évoquer cette virtuelle réalité, où les fantasmes érotiques ou sensuels ne sont plus montrés d’une manière exhibitionniste, ce qui rend plus cru le constat, plus douloureux l’aveu. Cette femme ne s’exhibe pas, elle s’amuse de son ridicule, cherche la faille, ne la trouve pas mais tente chaque nuit - car même là, dans un théâtre, elle fait partie du monde de la nuit -, recommence à parler pour lutter contre la folie.

(1) - Sexe et solitude, de Bruce Benderson, aux éditions Rivages poche / Petite Bibliothèque, traduction de l’anglais par Thierry Marignac

Journal d’une femme notes
de Claire Péron

3 février. 18h.
Hier, je me suis réveillée trop tôt. Ma tête me faisait mal. Je suis restée une heure dans mon lit. À sept heures, je me suis levée. Là, j’ai fait la même chose que tous les matins, dans le même ordre. Je suis allée dans la salle de bain, j’ai pris ma douche. Me suis habillée. Puis, je suis allée dans la cuisine, ai fait la vaisselle en attendant que l’eau boue. J’ai pris mon petit déjeuner, terminé ma toilette, ai pris mes affaires et suis partie. Comme si je ne voyais même plus ce petit rituel, mécaniquement. Une habitude, une chose que l’on fait sans s’en rendre compte. C’est à 8h30 que je suis partie. Au guichet, les gens se sont succédés et pendant toute la matinée, j’ai affiché le sourire de fête. Ce matin là, seulement douze personnes m’ont dit bonjour. Encore moins que la veille. Le midi, je ne suis pas rentrée manger. Je ne voulais pas être seule. Marielle et moi sommes allés au petit bar brasserie à côté de la banque. Elle n’a pas cessé de parler. De sa fille qui ne travaillait pas bien à l’école, de son mari qui ne lui venait pas en aide, de sa mère… J’ai fait semblant de m’y intéresser pour ne pas la blesser mais je crois qu’en réalité le quotidien m’ennuie, le concret ne m’intéresse plus. Un camion de pompier s’est arrêté de l’autre côté de la rue. Je me suis encore inventé une histoire. C’était moi dans ce camion de pompier. Il l’apprenait et me rejoignait tout de suite à l’hôpital, me disait qu’il ne voulait pas me perdre, qu’il avait beaucoup pensé à moi, qu’on pourrait tout recommencer. J’espère qu’elle ne s’est pas rendu compte que je ne l’écoutais pas. Au travail, l’après-midi s’est passée comme toute les autres. À 18 heures, je suis rentrée. Je me suis préparée une tarte et vers 19 heures j’étais assise sur le canapé et regardais la télé en mangeant. Je crois que c’était les infos régionales. Je ne sais plus parce que je me suis encore raconté une histoire. Il m’avait appelée et m’attendait à notre hôtel. J’y suis allée. Je l’ai retrouvé, j’ai retrouvé le bout qui me manquait. Quand je me suis réveillée, j’ai eu plus mal que d’habitude. Mon cœur battait trop vite. Crise d‘angoisse. Je ne sais pas comment et au bout de combien de temps je me suis calmée. À 2 heures, j’ai éteint la télé et suis allée me coucher. Je savais que demain serait la même journée.